La honte renvoie à des expériences d’anéantissement, de confusion et de vide. Elle s'enracine dans le sentiment d'être indigne, "d'avoir quelque chose qui cloche", comme être humain dans un contexte social. Une fois installée et enkystée dans la personnalité, la honte excessive mine l'ego (ou le surdimensionne par réaction défensive).
Elle engendre les symptômes suivants chez le sujet honteux:
Le sentiment d'impuissance
Il s'agit du sentiment de ne pas pouvoir se défendre, de ne pas pouvoir changer la situation ("A quoi bon !?") , de ne pas y arriver, de gâcher sa vie, de ne pas arriver à construire sa vie. Le sujet honteux vit une impuissance car il n'assume pas son point faible, celui-ci devient son boulet. Le sujet honteux peut aller jusqu'à être persuadé que les autres ont raison de le persécuter ou de le juger durement. Il croit alors que les violences qui lui sont faites sont basées sur des faits réels selon lui. Le sujet honteux se focalise dans ce cas sur le contenu et les faits. Il va jusqu'à dire: "C'est comme ça, c'est la triste réalité, je suis comme ça !". Ce que le sujet occulte fondamentalement, c'est que, sur la forme, on ne traite pas un être humain de cette façon.
Ce sentiment d'impuissance se rapproche du sentiment d'impasse que l'on retrouve dans la dépression quand l'impuissance devient désespoir avec le temps. Ce sentiment d'impuissance est également présent chez ceux qui ont des difficultés à s'engager dans la vie.
L'inhibition de l'action et l'évitement
La honte bloque la capacité d'agir et de dire du sujet honteux. Elle va amener le sujet à se cacher, à se taire et à développer des stratégies d'évitement, par exemple pour ne pas prendre la parole en public ou en réunion.
L'inhibition de la honte est renforcée par les mécanismes inconscients de défense chez le sujet honteux. Souvent, le sujet honteux ne comprend pas ce qui lui arrive, il le cache à l'extérieur, et il se le cache intérieurement. La honte est ainsi une émotion où le sujet n'a accès facilement ni aux mots, ni aux ressentis.
Le sentiment de déchéance
Ce sentiment est lié à la chute sociale et économique dans une logique de réussite professionnelle et de classe sociale dominante. Le sentiment de déchéance chez le sujet va se rapporter aux questions d'argent et de place sociale qui apparaissent dans sa famille. Les histoires de décadence et de revanche à prendre sur l'échelle sociale sont ainsi fréquentes dans les familles des sujets honteux.
Plus concrètement, le sentiment de déchéance est souvent accompagné d’une problématique de statut ou place sociale. Le sujet honteux a une souffrance sociale qui apparaît dans la mesure où il a souvent du mal à prendre sa place dans la société ou à se sentir clairement appartenant à une classe sociale. Il peut être dans un « no-man's land » ethnique (voir les personnes fruit d’un métissage condamné par la société dans certains pays), ou un "entre-deux" social (à la fois d’origine modeste et bourgeoise, à la fois intellectuel et paysan, à la fois "catho" et "communiste …).
La perte du sentiment d'identité
Le sujet honteux a une identité fragile car il a le sentiment que quelque chose cloche dans ce qu'il est. Ce sentiment vient souvent d'un modèle parental défaillant (père alcoolique, absent ou violent....; mère folle, mère "salope"....) ou d'humiliations ou moqueries impossibles à rejeter (enfant sans défense, personne isolée, humiliation à partir d'un fait objectivement visible et réel). Au final, le sujet honteux introjecte une partie de lui qu'il juge négativement et qu'il est dans l'impossibilité de nier. Ceci fait qu'il n'aime pas complètement son identité, ce qu'il est. Se respecter, prendre soin de lui, être positivement fier de soi seront alors difficiles pour lui.
La perte de l'estime de soi
La honte est le résultat du sentiment qu’une partie vulnérable de soi est dangereusement exposée à autrui. Le sujet n'assume pas et juge cette partie de lui qui est montrée à autrui. Son estime de soi est atteinte, entraînant en défense le désir de se cacher ou de disparaître.
Cette perte de l'estime de soi est entraînée par la fragilisation dans le temps des frontières du sujet honteux. Le sujet honteux n'a pas les bonnes frontières pour se protéger. Son expérience de la honte lui donne le faux sentiment que les autres le regardent, le jugent et qu'ils peuvent voir son état intérieur.
Avec le temps, la mauvaise estime de soi peut devenir une haine de soi car le sujet va se faire le relai de ses honnisseurs. Il va passer du statut de victime des autres à celui de bourreau de lui-même de façon inconsciente: les messages de haine introjectés sont repris intérieurement par des parties de lui (le Surmoi, l'état du moi Parent, le Moi....selon les Ecoles).
Les troubles associés
La honte est souvent associée à d'autres troubles: l'alcoolisme, les addictions (troubles alimentaires, toxicomanie,...), la dépression, la phobie sociale.... Un sentiment de honte persistant peut conduire à la dépression voire au suicide. En effet, une honte excessive engendre une perte importante d'énergie et un fort sentiment de désespoir. Dans un tel cas, sortir du retrait social et demander l'aide d'un professionnel de la santé est vital.
Sur le plan physique (corporel, racial, sexuel)
Honte d'être sale, d'être mal habillé, de sentir mauvais. Honte d'une partie de son corps, honte d'avoir un handicap. Honte d'être trop gros, trop grand ou trop petit. Honte d'être noir, jaune, blanc ou métisse. Honte d'être sourd, muet, borgne. Honte de dévoiler sa nudité, son impuissance, ses insatisfactions. Honte de se montrer, d'être vu. Honte de son sexe, honte de sa sexualité, honte de ses besoins corporels et sexuels.
Sur le plan affectif (familial et amical)
Honte de ses proches, de ceux qu’on aime, d’un parent, d’un frère, d’une soeur, d’un ami. Honte d'être le fils ou la fille de untel, honte d'être le "batard", honte d'être l'enfant du secret ou de la faute. Honte d’avoir honte de ceux qu’on aime et dont on a besoin d’être aimé. Honte de son infidélité ou de sa fidélité aux parents qu'on devrait honorer. Honte de ses besoins affectifs.
Sur le plan cognitif (intellectuel)
Honte de ne rien valoir, de ne rien savoir. Honte d'être un nul. Honte d'être analphabète. Honte d'être incompétent. Honte d'être un manuel, de ne pas avoir de diplôme. Honte d'être un intello, d'avoir trop de diplômes, honte d'être "une tronche" ou "une tête".
Sur le plan social et économique
Honte d’appartenir à un groupe, à une religion, à une entité économique, sociale, professionnelle: honte d'être un "prolo", d'être un bourgeois, d'être "catho" ou juif. Honte d'être pauvre, miséreux, chômeur, RMIste ou d'être parmi les exclus.
Sur le plan spirituel
Honte de n’avoir aucun sens à donner à sa vie, de ne pas être utile. Honte d’avoir perdu le désir d’exister. Honte d'être un pauvre type, d'être un paumé, un salaud ou mauvais. Honte d’être un homme confronté à l’inhumanité d’autres hommes.
Transmission de la honte
La honte est sociale. Il n'y a pas de honte sans l'existence d'autrui. Elle est un affect éminemment contagieux, qui se transmet de personne à personne dans une logique de verticalité. Le message complet est généralement inconscient, on peut le traduire ou le décoder ainsi dans sa globalité: "Il y a quelque chose qui cloche chez toi, tu dois en avoir honte !". On peut compléter le message ainsi: "Ce quelque chose fait que tu ne peux pas être O.K, tu ne peux pas être accepté ou aimé, tu n'es pas digne de cela, tu es moins bien que les autres".
Le quelque chose qui cloche est généralement visible, indiscutable ou inchangeable. La personne ne peut que se sentir en faute ou coincée au niveau du contenu, son honneur et sa dignité étant touchés.
La honte nécessite obligatoirement la présence d'un autre dans l'environnement: le tiers honnisseur. Le tiers honnisseur peut être singulier (un parent, un professeur...) ou pluriel (des camarades de classe, les parents, un groupe,...). L'honnisseur est celui qui fait honte, qui met la honte, qui rajoute parfois "T'as pas honte !". Le tiers honnisseur implique que, à terme, la présence de l’autre peut être dangereuse pour le sujet, car susceptible de réactiver le vécu douloureux de la honte.
Les expressions "Faire honte","Porter la honte" montrent que la honte est externe au sujet au départ pour ensuite intérioriser son Être. Elle passe parfois au départ par les comportements pour ensuite fragiliser et endommager l'identité. Elle creuse ainsi son sillon dans la personnalité par passages successifs. Elle fonctionne en spirale en poussant le sujet à la fois vers le bas ("ego" brisé, déficit narcissique, forme dans la soumission) ou vers le haut ("ego" surdimensionné, excès narcissique, forme dans la domination, forme réactionnelle et défensive).
La honte se transmet volontairement, mais surtout et le plus souvent à l’insu de ceux qui la transmettent. Les transmissions conscientes de honte proviennent généralement des humiliations, des moqueries ou des violences que l'individu reçoit consciemment des autres.
En période de guerre, la transmission volontaire de la honte est utilisée auprès des femmes par le viol. Le viol systématique est alors une arme de destruction psychique. L'homme guerrier ne pouvant tuer physiquement la femme ennemie, il la tue psychologiquement en lui faisant honte par le viol. Dans certains pays, notamment en Afrique, ce viol organisé se fait avec la conscience de la violence et du rejet social que la honte du viol va déclencher dans la vie de la victime après le crime.
Dans un autre registre, celui de la transmission inconsciente, le non-dit et le secret ont la particularité de transmettre et de propager la honte de proche en proche sans qu’aucun ne puisse savoir son origine, ni même l’identité de celui qui les transmet. La honte peut ainsi se transmettre de génération en génération, de manière inconsciente, selon le mécanisme du secret, laissant une information plus ou moins incomplète.
Le sujet qui reçoit le message de honte sera d'autant plus sensible à celui-ci qu'il a tendance à se juger ou à se comparer aux autres. Sur ce point, on notera que le sujet sensible à la honte a souvent tendance à s'imposer à lui-même des niveaux d'exigence et de contrôle élevés. Ses messages internes "Sois parfait" et "Sois fort" sont généralement très développés, ce qui fait qu'il se juge et renforce son expérience de honte